Quand le conquistador Coronado débarqua en Amérique et pénétra dans la Grande Prairie en 1541, les bisons étaient si nombreux qu’il jugea « impossible de les dénombrer tous ». Le Nouveau Monde devait alors en abriter près de 60 millions : la plus importante concentration de grands animaux que la Terre ait jamais portée. Dans les années 1895, ils n’étaient plus que quelques centaines. Les colons les avaient exterminés pour soumettre les Indiens…
De toutes les espèces de bovins qui proliférèrent dans les plaines chaudes d’Eurasie au cours du pliocène, il y a entre 5 et 3 millions d’années, le bison est le seul à être passé sur le continent américain. C’était pendant la période glaciaire de Mindel, durant l’ère quaternaire. La Sibérie et l’Alaska étaient encore rattachés par un pont de terre.
Les bisons nord-européens qui firent souche en Amérique étaient plus gros que les bisons d’Europe actuels et portaient de plus grandes cornes. Prospérant sur cette nouvelle terre, ils colonisèrent les pâturages et les forêts de conifères du nord du continent jusqu’au Canada actuel et, descendant vers le sud, ils envahirent les immenses plaines et les prairies au riche fourrage jusqu’au Salvador.
L’immigration fut continue tant que les continents furent reliés l’un à l’autre. Les bisons du Nouveau Monde se différencièrent en deux espèces. En grand nombre dans le sud-ouest de ce qui est devenu les États-Unis, Bison antiquus habitait sans doute des forêts claires et des savanes. Un peu plus grand, Bison latifrons vivait au nord, dans un environnement plus boisé. Il s’éteignit il y a plus de 10 000 ans.
Bison antiquus, lui, survécut. Il évolua au cours de l’holocène (de – 12 000 à – 3 000 ans) vers l’espèce moderne Bison bison, qui comporte elle-même deux sous-espèces, le bison de plaine, Bison bison bison, et le bison des bois, Bison bison athabascae.
LE BISON ET L'HOMME
Le bison a failli être rayé de la Terre au siècle dernier, victime d’un massacre massif. Le seul bovidé sauvage d’Amérique, l’animal fétiche des Indiens, a heureusement été sauvé d’une disparition totale. En Europe, le dernier bison sauvage a été abattu en 1942. Aujourd’hui, le plus puissant mammifère de ces deux continents ne survit que dans des réserves, mais des mesures de conservation efficaces ont permis de sauver l’espèce.
UN DON DU GRAND ESPRIT
« Voici le bison, il sera votre nourriture et votre vêtement. Mais sachez que, quand vous le verrez disparaître de la face de la Terre, votre fin sera proche. » Ainsi parla le Grand Esprit au premier homme et à la première femme. Toutes les croyances des Indiens étaient étroitement liées aux bisons. Toute leur économie et leur subsistance reposaient sur l’exploitation de cet animal.
La peau tannée devenait vêtements, mocassins, tipis. Le cuir épais du cou constituait le bouclier des guerriers. Les tendons servaient de corde à arc. La panse était utilisée comme outre et la viande, fraîche ou séchée, nourrissait la tribu, les morceaux de roi étant la langue et la chair de la bosse. Outils, récipients, potions, produits de ménage… pas moins de cent vingt-cinq articles et ingrédients différents étaient tirés du bison, même la bouse séchée, qui devenait un précieux combustible dans cette grande plaine.
Avant l’arrivée des chevaux sur le continent nord-américain, les Indiens chassaient les bisons en repoussant les troupeaux jusqu’au bord de falaises abruptes. Le but étant ensuite d’affoler les animaux pour qu’ils fassent le saut de la mort.
En bas, il ne restait qu’à les achever. Au Colorado, dans un ancien défilé, on a ainsi retrouvé les restes fossilisés de cent quatre-vingt-dix bisons. Les squelettes entassés étaient tous orientés dans la même direction, signe que les bovins s’étaient rués précipitamment dans le goulet. La présence de pointes de silex de lances a prouvé qu’une partie des Indiens rabattaient les bisons pour les empêcher de s’écarter du défilé.
Des carcasses démembrées ont permis d’analyser la façon dont les animaux avaient été dépecés : les méthodes étaient les mêmes que celles employées par les Indiens actuels. Langue et abats étaient prélevés et mangés sur place. La viande était découpée en morceaux : tête, bosse, côtes, pattes… Étant donné le nombre de bisons et les capacités d’ingestion de viande des Indiens, on a conclu que la tribu comptait environ 150 personnes et que cette chasse les avait fait vivre un mois.
Devenus cavaliers, les Indiens continuèrent à chasser le bison à l’arc ou à la lance. Mais ils n’en tuaient jamais plus que nécessaire.
C’est l’arrivée de l’« homme blanc » qui signa l’arrêt de mort du bison.
UN SINISTRE CARNAGE, PAR SIMPLE DIVERTISSEMENT
On a estimé à plus de soixante millions de têtes, la population de bisons parcourant le pays avant la venue des Européens. Quand arrivèrent les premiers colons, entre 1730 et 1840, ils tuèrent des bisons pour se procurer de la viande et pour défendre les pâturages, qu’ils réservaient à leurs bovins domestiques. Mais, peu à peu, on assista à une perversion de la chasse : tuer le bison devint un « sport ». À la différence de l’Indien, l’homme blanc faisait un effroyable gâchis, ne prélevant que quelques rares morceaux (langue, bosse, quartiers arrière) et laissant les immenses carcasses pourrir au soleil. Un troupeau de 1 400 têtes fut ainsi décimé pour ne consommer finalement que la langue des animaux.
Les pires excès furent commis pendant les guerres contre les Indiens, au cours des années 1860 et 1870. Les officiers de l’armée américaine avaient compris que l’élimination des bisons était le meilleur moyen d’affamer les Indiens et de venir à bout de leur résistance.
Des primes furent versées à l’abattage, le gouvernement encouragea les services d’abatteurs professionnels. C’est ainsi que William Frederick Cody, dit Buffalo Bill (le bison était appelé « buffalo ») sous contrat avec le Kansas Pacific Railway, devait approvisionner en nourriture les équipes chargées de la construction de la voie ferrée. Il fallait au cuisinier au moins douze bisons par jour. Buffalo Bill se vantait d’en tuer plus en une heure qu’un Indien en une journée. On raconte qu’en dix-huit mois, il en avait abattu six mille quatre cents !
À partir de 1865, les passagers des lignes des chemins de fer tiraient sur les bisons, par simple divertissement, de la fenêtre de leur wagon. Des kilomètres carrés de prairie furent transformés en charnier.
Rien qu’en deux ans, de 1872 à 1874, quatre millions de bisons furent massacrés.
Dès 1800, les populations de bisons de l’Est étaient exterminées. En 1875, les troupeaux de l’Ouest se trouvaient réduits à quelques noyaux isolés. En 1885, il restait, au Canada, moins de mille bisons et, aux États-Unis, à peine plus de cinq cents. En 1893, on ne trouvait plus qu’une vingtaine de bisons sauvages dans le parc national de Yellowstone et environ trois cents dans la zone du parc Wood Buffalo. Parallèlement, les Indiens, qui étaient près d’un million en 1492, n’étaient plus que 300 000 en 1890. Ils vivaient désormais sur le territoire restreint des réserves indiennes.
OPÉRATION SURVIE
Le tournant du siècle vit la fin du massacre et les premières mesures de protection des bisons. En 1893, une loi fut adoptée au Canada pour protéger ce qui restait du troupeau de bisons desbois (Bison bison athabascae). Aux États-Unis, des parcs furent délimités et soumis à des contrôles sévères.
En 1978, la population de bisons d’Amérique du Nord était remontée à 65 000 têtes. Elle en compte aujourd’hui plus de 200 000, dont 25 000 dans des réserves nationales et 180 000 dans des ranchs privés aux États-Unis et au Canada (qui en abrite environ 10 000). Les plus grands troupeaux des États-Unis se trouvent dans le parc national de Yellowstone, s’étendant entre le Wyoming, le Montana et l’Idaho (3 500 individus), le Custer State Park, dans le Dakota du Sud (1 500 bisons), le Badlands National Monument, dans le Dakota du Nord (600 animaux), le Wichita Mountains Wildlife Refuge, dans l’Oklahoma (600 têtes), le National Bison Range, dans le Montana (300-350 individus), ainsi que dans le Nebraska et le Wyoming.
LA LEGENDE DU BISON BLANC
La naissance de bisons blancs est rare. Les estimations sont de 1 animal atteint de leucistisme pour 10 millions de naissances. Mais ces « phénomènes » étaient considérés comme sacrés et leur importance spirituelle était considérable pour toutes les nations indiennes. De nombreuses légendes y font référence dont celle de Femme Bison Blanc (Pte San Win) qui se trouve au cœur de la religion des Sioux Lakota. Elle leur offrit la pipe sacrée, et enseigna aux tribus formant les Sept Feux du Conseil (Oceti Sakowin) comment se comporter et à respecter le bison qui était intimement lié à leur existence, puisqu’il leur permettait de se nourrir, de se vêtir, de s’abriter, de s’armer et de fabriquer toutes sortes d’objets utiles à la vie courante.